La plume perchée de Sébastian Blysk

C'est fun et triste à la fois. Une définition prosaïque de la mélancolie.

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Par Sebastian Blysk
19 nov. · 1 mn à lire
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Littérature de comptoir

16. Julian fête la sortie prochaine du livre de son ami, raconte comment il va (bien ou pas), et d'autres choses.

Ça fait un bail, hein ? Putain, ouais. J’trinque à la nouvelle, tiens. Mon pote écrivain va ressortir un bouquin. Encore une histoire d’amour, tu parles d’une originalité... mais il jure que cette fois c’est pas pareil. Le premier, c’était un cœur qui s’acharnait à grimper vers le ciel, tout déglingué mais tenace. Là, dans le dernier, il s’est vautré. Écrasé par terre comme une clope mal éteinte. Une autre nana, bien sûr. Faut croire qu’il les collectionne comme des cicatrices. Mais y’a encore un peu de la parisienne dedans, c’est évident. Ces trucs-là, ça te colle à l’âme, ça s’efface jamais vraiment. Et puis, il ose pas l’admettre, mais ça pue encore l’amour.

Le reste, ça parle d’une Namuroise. Connue avant l’autre, recroisée après. C’est beau, bordélique. Une espèce de danse entre la lumière et le foutoir. Je viens de le quitter, il se tourne les pouces en hésitant à envoyer un message à la flic – oui, la fille fait dans la répression – pour lui dire merci, va savoir pourquoi. Mais il flippe, hein, parce qu’elle pourrait répondre un truc du genre je t’aime encore et lui, il sait pas s’il tiendrait le choc. Ça se joue toujours à un fil, ces machins-là. Il a un espoir en ligne de mire, un autre horizon, alors il rumine : gâcher ou avancer ? On verra bien. C’est son bordel, après tout.

Et moi, mon vieux ? Ça va ? Ça va pas ? J’en sais rien. Le cœur fait la gueule, mais il chante encore, le salaud. Tiens, juste une coupe de champagne pour l’écrivain, santé ! Cette nuit, j’ai rêvé d’une gosse. Ma fille dans mes rêves. Elle m’appelait Papa, et j’étais fier comme jamais. Par contre, ça me ferait chier d’avoir un môme, un fils. Trop pudique, trop coincé. Les pères, ça finit pareil. Ça ferme sa gueule et ça serre les dents.

Faut que j’arrête de courir après des femmes qui veulent plus d’enfants. Je sais bien que c’est ma combine pour rester libre. Mais crever avec des regrets, c’est pas mieux.

Ah, au fait, j’ai repris l’écriture. Le succès de l’autre m’a chauffé. Mais je veux pas juste pondre des mots, tu vois. Je veux une empreinte. Une trace. Alors je te le dis ici, vieux frère : un jour, t’auras ma gueule accrochée dans les journaux, lauréat d’un grand prix littéraire. Écris-le, si tu veux. Je tiendrai parole.