Le bras, la vie, du bon côté.

En gros, vive la vie même s'il y a du chipotage dans la tristesse.

J’aurais pu claquer à quinze ans.
De mon propre chef, comme un grand. Il aurait suffi de bien viser, de tailler là où ça saigne pour de bon, et rideau. Ciao la compagnie. À l’époque, rien n’allait. Rien. Crever semblait presque logique, comme une équation qu’on résout sans trop réfléchir. J’étais planqué dans une cage d’escaliers, un de ces bâtiments vides où même l’écho n’a rien à dire. Les autres élèves ? Ils étaient loin, trop loin pour entendre quoi que ce soit.

J’étais assis, un couteau de poche dans la main droite. Une lame minuscule, ridicule, mais elle brillait quand même un peu. J’attendais quoi, au juste ? Mon heure ? Une illumination ? Un signe du destin ? Même le chat dehors n’avait pas de réponse. Il miaulait sa vie de misère, mais moi, les chats, je les ai jamais supportés. J’aurais pu lui pisser dessus si ça n’avait pas été si risqué. Ces sales bêtes, ça griffe. Faut sauver l’entre-jambes avant de penser au reste.

Mais dans l’idée, je devais crever. Là. Dans les minutes qui suivaient.

J’dis ça, mais mourir, ça n’a duré qu’une seconde dans ma tête. Juste un flash. Le couteau sur la peau, l’acier qui gratte la veine. Je crois que j’ai tourné le bras, comme dans un mauvais film. Quelques traces rouges, des entailles trop superficielles pour faire vraiment mal. Peut-être que je savais déjà, au fond, que je voulais pas y passer. La mort, c’est trop définitif. Ça coupe tout. Trop radical pour un gamin pas fini.

Je me suis arrêté. J’ai pensé à mes parents, à mon petit frère, à ceux qui m’aimaient encore, malgré tout. J’étais égoïste, mais pas assez pour leur balancer ça en pleine figure. Ça aurait été cruel. Et puis, merde, j’aimais encore trop la vie. Même avec ses horreurs, ses silences, ses coups bas. J’aimais le sourire de ma mère, le rire bourru de mon père, les conneries avec mon frère. J’aimais le lever du soleil, le ciel bleu qui s’étale sur un paysage. J’aimais l’idée de partir loin, de voyager, d’écouter de la musique qui fait trembler les murs.

Et puis, je commençais à lire. Vraiment lire. Ça aurait été con d’arrêter là, non ?

N’empêche qu’une part de moi est morte ce jour-là. Je le sais. Une partie qui croyait dur comme fer que tout irait bien. De l’enfance. La vie, c’est parfois un cœur qui se déclare forfait, mais qui bat encore. Alors, on continue. Parce qu’au fond, la vie, c’est pas si mal. Pas toujours.

Quand j’écris aujourd’hui, je regarde ce bras intact. Ces veines qui n’ont jamais cédé. Mon écriture, c’est ça. Des mots qui auraient pu ne jamais voir le jour. De la peine refoulée.

Vive la vie, ouais. Même si elle est parfois immonde.

La plume perchée de Sébastian Blysk

La plume perchée de Sébastian Blysk

Par Sebastian Blysk

Ecrivain, et travailleur social (ou inversement)

Auteur d’Une Petit longue déclaration, recueil publié le 9 mars 2022
aux éditions Frison-Roche Belles-lettres.

Je suis dans la rédaction d’un roman.