Il me faut écrire, mon vieux.
J’te balance encore deux-trois conneries et après, on fera une pause, toi et moi. Parce que, tu vois, parfois même parler ça fatigue. Des nouvelles de mon pote écrivain ? Ouais, il continue son roman, enfin si on peut appeler ça avancer. Quelques lignes par semaine, pas plus. Un escargot sur la route de l’inspiration. J’t’assure, il finira par sortir un recueil de nouvelles avant d’achever ce foutu bouquin. C’est comme ça avec lui, toujours en train de tirer sur le frein à main. Moi ? Moi j’écris des conneries, du sérieux qui dit « va te faire foutre », tu vois l’genre.
J’ai envie d’écrire dans une baraque au bord de la mer. Pas d’un lac. Non, pas un lac. J’pourrais jamais supporter ça. Un lac, c’est juste une grosse flaque qui se prend pour quelque chose de grand. On en fait vite le tour. On connaît sa fin. La mer, elle, te balance une illusion d’infini. T’es jamais sûr. Ça peut t’avaler tout cru, ou juste te laisser flotter là, dans l’ignorance. Et ça me va, moi. J’veux écrire devant ce genre de truc, le genre d’infini qui te laisse croire que tout est encore possible. Même si on sait très bien que c’est pas le cas.
Me voilà encore seul. Tiens, ça te surprend ? Tu parles. J’te file la première phrase du premier roman de Yann Moix : « Ce que les femmes préfèrent chez moi, c’est me quitter. » J’aurais pu l’écrire, celle-là. Une de plus. Mais tu sais quoi ? Je t’épargne les détails, j’étais déjà parti avant qu’elle ouvre la bouche pour me foutre dehors. À force, t’anticipes. C’est l’expérience qui parle. Y’a une routine dans la rupture, presque un confort.
Et là, je redeviens froid. La sobriété, ça t’use. Sobre de vie, sobre de tout, et ça m’emmerde. T’imagines, pas de bière encore ce soir. Pas même une pour glisser avant d’attaquer un chapitre de ce putain de roman. Parce que je dois écrire, tu comprends ? Et l’écriture, c’est une sale bête. Elle te prend tout, mais elle te laisse quand même assez pour t’faire croire que t’es encore en vie. Pas vraiment, mais assez.