8. Julian rêve de Paris.
Comme mon pote, j’écris aussi un roman. Ça va être de la dynamite. J’vise les sommets, mon vieux, rien que ça. J’rêve Paris. Encore. Juste de la littérature. Arpenter les boulevards, m’engouffrer dans les ruelles, longer les quais, me souvenir et vivre d’autres choses. Hurler sur un toit, une fois la nuit tombée, la phrase de Rastignac : « À nous deux, Paris. »
J’ai aimé Paris dès la première seconde. Puis encore mieux, les minutes, les heures, les jours d’après. Paris avait de l’allure, une folie en elle. Je l’ai respirée, et c’en était fini de moi. Même prendre le métro, j’adorais. C’est dire. Je devais y faire quelque chose. Une histoire d’amour, je pensais d’abord, mais à trop penser, on rate. Je devais faire mieux.
On me demanderait de choisir entre le succès et elle, et je répondrais : vas-y, file-moi le contrat, le chèque, la vie d’artiste qui va avec. Le Goncourt à la place de l’amour. C’est triste, mais c’est comme ça. Et j’aurais mal au cœur tous les jours, parce que c’est dur de jeter la vie dans des regrets. Son sourire m’aurait hanté. D’elle, il y aurait eu des morceaux dans chaque livre.
Paris n’est qu’une catin déguisée en grande dame. On veut la prendre à sec, mais c’est elle qui nous baise, et tendrement en plus, histoire de bien s’en souvenir.
Mais mon roman ne parle pas de ça. Paris n’est plus une destination ; je me destine à Paris. Y habiter ne m’intéresse plus, mais j’veux le reste. J’suis artiste alors c’est Paris. Moi le pauvre, j’veux recôtoyer les bourgeois, les moquer, et ils riront, puis peut-être les aimer parce que je serai devenu comme eux.
J’écrirai férocement pour oublier ma damnation. Son sourire en écho. Mon vieux, elle est rude, ta bière. Je ferais que ça à Paris : écrire et regretter d’avoir réussi.
J’rêve Paris parce que je suis dans mon roman, qui ne parle pas de tout ça. Mais j’imagine l’après, dans mes délires, quand j’suis bourré, et même sobre la plupart du temps : être dans cette fichue capitale et l’avoir dans ma main. Ses doigts avant qu’ils ne s’effacent, pour laisser la place à ce toujours trop peu — la réussite. Et ça me va.