Les vacances meurent toujours un lundi

Cela fait titre d'un James Bond (après des bières en trop)

Il aurait dû rester en Italie.
Oui, merde.
Sous le soleil, entre un Spritz et deux “Ti amo” mal prononcés.
Là-bas, tout sentait la légèreté, la peau chaude, la promesse d’un lendemain sans patron.
Mais non, il a repris le train du retour, direction la grisaille et la fiscalité.
Le wagon puait le café froid, la fatigue, les gens.
Toujours les gens.
Ces créatures bruyantes qui croient que parler plus fort que leur vie la rendra plus belle.

Plysk fixait la vitre. Il voyait son reflet, ce héros tragique de l’ennui moderne, et derrière lui, un ciel qui ressemblait à une photocopie en noir et blanc.
Il aurait voulu crever dans les bras d’une Italienne plutôt que survivre à son salaire.

Son père, le vieux prophète de la désillusion, avait raison :
« Tu penses qu’aux vacances, jamais au travail !»
Mais qu’est-ce qu’il voulait qu’il pense d’autre ?
Aux taux d’intérêt ?
À la retraite complémentaire ?
Plysk, il pensait à Chiara.
Chiara des Abruzzes.
Un sourire d’été sur un corps de cataclysme.
Il n’avait jamais vu ses draps, mais il aurait juré qu’ils sentaient la victoire.
L’Italie, c’est tomber amoureux toutes les cinq minutes, parfois même deux, juste pour vérifier que le cœur tient encore debout.

Le boulot, lui, c’était une autre planète.
Un cirque triste sans clown marrant.
Des gens qui demandaient des crédits pour s’acheter un chien ou un peu de chaleur.
Des femmes qui signaient des papiers avec la même lassitude qu’un dernier baiser.
Plysk, il s’est enfermé dans son bureau.
Pas un bureau, une cellule.
Le genre d’endroit où les âmes viennent faire la sieste avant de mourir d’excel.

Et puis elle est entrée.
Eve.
Eve la foutue merveille.
Eve la fin du monde en jupe midi.
Eve qui te fait croire que Dieu s’est peut-être pas planté sur toute la ligne.
Quand elle a souri, le chauffage s’est rallumé dans sa poitrine.
Il a senti son cœur reprendre du service, comme un vieux moteur qui repart à la clope.
Le bureau s’est transformé en chapelle.
Le café tiède est devenu un sacrement.
Eve, c’était la rédemption en tailleur pastel.

Ils ont parlé.
De rien, de tout, du vide entre deux cafés.
Et quand elle est repartie, le monde a repris sa couleur de bureau.
Le gris, ce gris qui fait douter de la poésie, de la foi, de tout.

Plysk s’est affalé sur sa chaise.
Les bras en croix, comme un Christ du code bancaire.
Il n’avait toujours pas envie de bosser.
Il attendrait la pause-café pour revoir Eve, pour respirer encore un peu de miracle.
En attendant, il fermerait les yeux.

Il rêverait à l’Italie, à Chiara, à Eve.
À tout ce qu’il n’aura pas.
Parce qu’on ne vit qu’entre deux départs,
et qu’il faut bien un peu d’amour pour supporter le retour.

La plume perchée de Sébastian Blysk

Par Sebastian Blysk

Ecrivain, et travailleur social (ou inversement)

Auteur d’Une Petit longue déclaration, recueil publié le 9 mars 2022
aux éditions Frison-Roche Belles-lettres.

“Les Fragments d’un chagrin” est sorti le 29 janvier 2025 aux éditions Lys Bleu

Je suis dans la rédaction d’un roman.