"Vous ne pouvez pas, Monsieur."

Fiction.

"Vous ne pouvez pas, Monsieur."

Trois âmes dans un wagon désert. Le train filait vers sa dernière halte de la journée, la nuit collée aux vitres. Les autres compartiments étaient peuplés de corps éreintés, vidés. Plus personne n’attendait rien de ce trajet.

Elle était là, cette femme, rangée plus loin, en diagonale. Elle voyait tout.

Lui, il s’était assis à côté d’une gamine. Pas une gosse, non, mais une jeune, un peu paumée, l’âge où on croit encore aux anges. Lui, il avait le double de son âge. Peut-être plus. Peut-être pire. Qu’est-ce que ça pouvait foutre à cette vieille peau, ce qu’il faisait ? Il s’était assis là, il lui avait demandé, elle avait juste hoché la tête, alors c’était bon, non ?

Elle n’était pas à l’aise, la gamine. Ça se voyait, ça puait la peur. Alors il lui avait mis la main sur la jambe. Doucement. Une caresse, presque tendre, histoire de la rassurer. Dans ses yeux, il y avait cette phrase qu’il trouvait jolie : "T’en fais pas, ça va bien se passer."

Mais la vieille, là-bas, ça ne lui allait pas. "Vous ne pouvez pas, Monsieur." C’est ce qu’elle a répété.

Lui, il s’en foutait. Une longue journée dans les pattes, l’envie de s’alléger l’esprit. La gamine était seule, fatiguée, la vie lui avait déjà bien tapé dessus. Et bandante, il fallait le dire. Alors pourquoi pas ?

Elle ne bougeait plus. Juste des larmes qui perlaient, silencieuses. Il a pris ça pour de l’émotion. Elle devait aimer, au fond. Son "non", il l’a traduit autrement. Pas les jambes ? D’accord. Il est monté. Sous la robe.

"Vous ne pouvez pas, Monsieur."

Toujours ce même ton calme, cette vieille peau, là-bas, qui s’accrochait à sa phrase comme à un putain de mantra.

Mais lui, il n’écoutait que son désir. Il a trouvé la culotte. Il a senti la chaleur. Il a bandé. Puis il a été contrarié. Pourquoi elle ne bougeait pas ? Pourquoi elle se laissait faire comme une conne ? Il s’est agacé. Une mal baisée, sûrement. Elle comprendrait après. Elle le remercierait.

Ce qu’il n’a pas vu, c’est la lame. Ce qu’il n’a pas entendu, c’est les pas.

Ce qu’il a senti, c’est son entrejambe qui se fendait en deux.

Une douleur inhumaine, animale. Il a crié comme un chien qu’on égorge. Il aurait voulu jouir, il a juste pissé le sang.

La gamine s’est reculée. Elle s’est réfugiée dans les bras de la vieille. Elle pleurait encore, mais autrement.

La vieille l’a serrée. Comme une mère, comme une louve. "Je n’ai fait que mon devoir", qu’elle lui a soufflé. Elle disait toujours ça : "Faut pas embêter les gens."

Et au monsieur, qui titubait avec sa queue ruinée entre les jambes, elle a juste répété, implacable :

"Vous ne pouviez pas, Monsieur."

La plume perchée de Sébastian Blysk

Par Sebastian Blysk

Ecrivain, et travailleur social (ou inversement)

Auteur d’Une Petit longue déclaration, recueil publié le 9 mars 2022
aux éditions Frison-Roche Belles-lettres.

“Les Fragments d’un chagrin” est sorti le 29 janvier 2025 aux éditions Lys Bleu

Je suis dans la rédaction d’un roman.

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