Au revoir, la môme.

La môme, qui est une femme qui part. La môme, qui est aussi une enfant qu'on rêve. Y a un autre môme pas loin également. (Fiction)

Tu la regardes partir.
Depuis la fenêtre, vue sur bitume, t'as les bras ballants comme un con devant un film déjà vu. Elle s’engouffre dans sa bagnole, les yeux pleins. T’essaies de ne pas y voir des larmes. Mais t’as vu. Celle qui s’en va là, elle aurait pu être la mère de ta gamine. Ou de ton môme. Mais dans ta tête, y’en aura qu’un. Deux grand max. T’imagines toujours une fille d’abord. Un garçon ensuite. Mais si on pouvait choisir, tu signerais pour une fille.

Vous vous êtes quittés. Encore. Sauf que là, c’est la vraie de vraie. Définitive.
Elle est belle à faire tomber les anges. Mais t’en pouvais plus. Son égoïsme, sa jalousie, ses silences de trois jours,

ses piques à t’en faire douter de toi. Elle t’a aimé. Tu l’as aimée. Mais c’était condamné d’avance.
Un jour, elle t’avait dit :
— Je rêve de fonder une famille avec toi.
T’avais soufflé, presque à voix basse :
— Une famille qui tiendra pas. Après la naissance, tu disparaîtras. Et moi je serai ailleurs.

Engueulade. Baise. Comme d’habitude. Le cycle con.

Sa voiture démarre, et toi tu restes là, à te dire que cet amour-là, vous l’avez juste mal calé.
Il s’est cassé la gueule à un feu rouge.
T’as quitté la femme que t’as le plus désirée. Pas forcément aimée. Non. Désirée. C’est pas pareil. C’est elle qui t’a le plus fait bander. Le plus fait croire à quelque chose. Le plus fait rêver de foutre un prénom sur une boîte aux lettres à deux.

Elle est partie comme les autres. Avec des regrets flous et une incompréhension vaste. Elle pensera sûrement :
je l’ai jamais vraiment connu, ce con.
Et elle aura raison.

Tu te retournes un peu vers toi-même. Tu passes en revue. T’en as fréquenté des femmes. Pas toutes aimées.
Pas toutes couchées. Mais à chaque fois, elles sont parties. Et toi t’es resté là. Comme une station de métro désaffectée.

T’aurais pu lui dire. Que c’était pas que sa faute. Que t’étais responsable aussi.
T’aurais pu lui parler de ta trouille. De cette peur qui t’habite comme une locataire tenace. Que ton côté sale gosse, moqueur, insolent, c’est juste un bouclier en mousse.
C’est pas que t’as du mal à t’attacher.
T’es juste un couillon.

T’as connu la honte.
Les baffes.
Les humiliations.
Le goût amer de s’être laissé faire.
Par des gosses dans la cour de récré.

Tu repenses à ce garçon, avant tout ça, que tu connais depuis ta naissance, il a presque deux ans de plus que toi.
T’as dix piges.
Un bisou d’essai. Une curiosité sans malice. Et puis la suite. Le frottement, le sexe, les gestes qui salissent l’innocence. T’as rien dit. Tu t’es laissé faire. Tu sais pas pourquoi. Figé, peut-être.
Ensuite t’as eu la haine. La moquerie facile. Le rejet. Les insultes. T’étais devenu un homophobe de façade.

Une façon comme une autre de recracher ce qui t’avait souillé.
Tu regrettes.
T’as honte.

Tu sais que t’aimes les femmes. Tu l’as su très vite.
Mais ça t’a abîmé, cette histoire.
T’as couché, souvent. Mais t’as rarement aimé ça.
Du moins, avant. Le moment juste avant. T’es toujours en panique. Tu revis la scène.
La soumission.
Alors t’as trouvé des parades. Des rituels. Tu préfères les caresser, les lécher, les faire jouir.
Pas juste pour elles. Ça te procure du plaisir aussi, de les voir, sentir mouillées.
Mais aussi, pour retarder l’instant où elles te demandent d’entrer en scène avec ta queue.
Parce que ce sexe-là, il porte encore le fantôme d’un autre. D’un geste de trop.
Que tu n’aurais pas dû subir.

Elle est partie.
Et t’as ce pincement.
Elle aurait pu être la mère de ta fille.

Tu t’imagines parfois, vieux, posé dans un bar classe, à attendre ta gamine de vingt ans, qui débarque, qui t’annonce que son roman sort chez Gallimard.
Tu payes la tournée.
Elle te dit qu’elle est heureuse. Qu’elle attend un gosse. Que tu vas être papy.
Et qu’elle sait déjà que tu seras au niveau, parce que t’as été le meilleur des pères.
Tu rigoles. Vous rigolez. Comme des mômes.

C’est vrai, tu veux être père.
D’une fille, de préférence.

Parce que les garçons, c’est souvent cons.

Et cette femme qui s’éloigne, elle aurait pu en être la mère.
Comme une ou deux autres avant elle.

Mais t’as peur de tout.
Et pour que personne le voie, tu fais ton clown.
Tu balances des vannes.
Et tu souris tout le temps.

La plume perchée de Sébastian Blysk

Par Sebastian Blysk

Ecrivain, et travailleur social (ou inversement)

Auteur d’Une Petit longue déclaration, recueil publié le 9 mars 2022
aux éditions Frison-Roche Belles-lettres.

“Les Fragments d’un chagrin” est sorti le 29 janvier 2025 aux éditions Lys Bleu

Je suis dans la rédaction d’un roman.

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