Littérature de comptoir

2. Julian est "fâché". Il parle de Abel Quentin qui n'aura pas le Goncourt et c'est triste, d'Aurélien Bellanger qui ne l'aura pas et c'est joyeux. Enfin, il reparle d'une fille qu'on défend trop et qu'il aimerait oublier.

Non, mon vieux, cette fois-ci tu me mettras un Coca. Pas le cœur à la fête, et je suis en colère. Je ne bois que pour être heureux. Mon énervement, j’te jure, c’est pour trois fois rien, mais c’est quand même injuste, tu ne trouves pas, que Cabane d’Abel Quentin ne soit pas dans la liste du Goncourt ? C’est pourtant brillant, nom de Dieu ! Je suis pas en joie. Heureusement que le dernier d’Aurélien Bellanger n’y soit pas non plus. Son livre Les derniers jours du Parti Socialiste, tu parles, c’est du macronisme qu’il cause. Ce n’est pas tant que le roman soit mauvais, mais ses passages sur les plateaux télé, là... Tu as juste envie de le gifler ! Il se la joue brillant, mais il est nul. Ça parle de la gauche sans la connaître. Maintenant il fait l’Insoumis, alors que c’est un ancien Sarkoziste. Il ne connaît rien du peuple, de ses aspirations. Pourtant, la politique, c’est un sujet qui me botte. Mais son style, dans ce roman, c’est mauvais.

Par contre, Quentin, c’est une claque ! Ce n’est pas le genre d’histoire dans laquelle je m’aventure d’habitude, mais son précédent bouquin m’avait beaucoup plu, alors j’avais hâte de lire celui-là. Brillant, vraiment. Mais il n’est pas nommé au Goncourt, tu te rends compte mon vieux ?!

Finalement, ouais, sers-moi une bière.


Je ne suis pas en colère juste pour ça. La littérature me passionne, mais il suffit que je tombe sur un bon livre pour que ça passe, et un mauvais livre, ça s’oublie.
En vrai, je ne suis pas fâché. Proche de la cinquantaine, je commence à être philosophe. Mais il y a des oreilles qui traînent ici... Je vais te raconter. La dernière fois, je t’ai fait un éloge, et bien figure-toi que certains l’ont entendu, et ils ont même cru y voir une fille extra. Je l’ai trop sublimée, et maintenant des gens la défendent. L’écrivain n’a jamais le bon rôle, parce qu’il l’offre toujours à l’autre. J’aurais dû raconter la vérité, ça m’apprendra.

Mais si je dois être honnête avec toi, c’est que je rêve d’elle chaque nuit. Parfois, j’ai envie de la rappeler. Mais je m’arrête toujours à temps, parce que mon cœur ne le veut pas vraiment. Et quand ce n’est pas vraiment, c’est à côté. Donc pas de l’amour, juste des souvenirs qui deviennent mélancoliques.

Non, tu ne la connais pas, sinon tu ne me dirais pas de revenir vers elle. C’est juste une putain de drogue, une folle ivresse, un truc qui te déglingue bien le cœur. Magnifique au début, puis c’est la déchéance. Comme ces toxicos que tu vois tard le soir, couchés sur un banc. L’amour, c’est pas juste une première magnifique dose.

Je sais pas quand je reviendrai te voir. Je dois aider un copain à terminer son roman. Paraît qu’il a du talent.

La plume perchée de Sébastian Blysk

Par Sebastian Blysk

Ecrivain, et travailleur social (ou inversement)

Auteur d’Une Petit longue déclaration, recueil publié le 9 mars 2022
aux éditions Frison-Roche Belles-lettres.

“Les Fragments d’un chagrin” est sorti le 29 janvier 2025 aux éditions Lys Bleu

Je suis dans la rédaction d’un roman.

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