Connard d'écrivain !

Fiction.

« Connard d’écrivain. »

Boum. Direct, sans préliminaires, sans lubrifiant. La phrase qui t’arrache le café du matin. Il venait d’avaler deux binouzes chargées au napalm, pas encore midi, le sable qui lui collait aux mollets, et lui, à moitié vautré dans un marcel rose qui aurait mérité un procès, slip moulant son mastodonte, sur la plage, juste à côté du bar où Jacky l’attendait avec la patience d’un vieux chien de comptoir.
Les écrivains, l’été, faut pas croire : c’est rarement Hemingway, plus souvent Dubosc en claquettes.

La veille, il s’était infligé le spectacle de Patrick Sébastien. Un truc qui te donne envie de t’ouvrir les veines avec une coquille Saint-Jacques. Un rebelle de kermesse, avec des chansons pour gens qui ont renoncé à leur cerveau. Et cette obsession de parler de sa bite… Sérieux, à force de la ramener, c’est clair qu’il devait avoir un mini-tube, genre taille sucette de baby shower.

C’était pas la première fois qu’elle lui écrivait, la furie. Manquait clairement quelques frites au sachet. Elle s’était mis dans le crâne qu’il était son Vinz, un surfeur quadragénaire du Sud, genre bronzé, dents blanches, odeur de monoï — et que ce Vinz écrivait sous le pseudo Julian Plysk. Sauf que lui, il avait pas quarante piges, juste une sale trentaine qui collait au corps comme un vieux t-shirt de sport. Mais il se promit quand même de demander à sa mère si elle avait pas accouché en avance, juste pour rigoler.

Ouais, il était pas un saint, mais de là à « connard »… Ça valait bien une troisième bière.
Et Jacky récupéra sur son épaule deux larmes de crocodile tiède.

Tout ça pour un texte à la con où il racontait qu’il était sur la route 66, renaissance, grand ciel, poussière dans les yeux. Elle, ça l’avait mise en apnée : « T’as pas de couilles. » Lui, le matin même, s’était regardé dans la glace : elles étaient là, nickel, bien pendues.

Elle voulait qu’il dise à « Amour » que c’était fini, page tournée.

Sauf que « Amour », il l’avait pas écrit pour quelqu’un. C’était juste du papier et de l’encre. Enfin, ouais… peut-être qu’il avait connu une femme qu’il avait appelée comme ça, qu’il l’avait aimée comme un taré, qu’elle lui manquait un peu, parfois ou souvent. Mais bref, elle avait pas envoyé ses seins, alors passons.

Y’a des gens qui savent plus lire. Ça bouffe les mots crus, sans les mâcher, et ça s’étouffe avec. Elle, un jour, avait envoyé des messages à toutes les meufs qui portaient le prénom de l’héroïne de son deuxième roman, pour « se calmer » — résultat : lui qui reçoit des DM hilares de filles avec ce même prénom.

Vinz pourrait la récupérer, tiens. Mais non. Les cerveaux fêlés, mieux vaut les laisser rouler tout seuls.

On n’écrit pas pour dire le vrai, on écrit pour dire le juste. Et souvent, ça s’invente.

Pour la déconne, il pensa à changer son profil : Vinz, photo d’un beau gosse bronzé sur une planche de surf.
Et puis merde, il avait d’autres chats à gifler.

G. débarqua, toute lumière et jambes nues, et lui lança un sourire qui tordait le reste du monde. Il lui sort :
— Paraît que t’as de grandes dents.
C’était la conclusion de l’autre harpie. G. se marra, des petites dents de souris au lieu des crocs attendus.

— Fais gaffe, mon écrivain, un jour elle va rappliquer à un salon du livre, te coller un coup de gourdin, ou te faire une Misery à la Stephen King.

Au large, il vit un aileron passer. Peut-être elle.
— Tu me sauveras, hein ? dit-il.

La plume perchée de Sébastian Blysk

Par Sebastian Blysk

Ecrivain, et travailleur social (ou inversement)

Auteur d’Une Petit longue déclaration, recueil publié le 9 mars 2022
aux éditions Frison-Roche Belles-lettres.

“Les Fragments d’un chagrin” est sorti le 29 janvier 2025 aux éditions Lys Bleu

Je suis dans la rédaction d’un roman.

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