Littérature de comptoir

3.Julian parle (un tout petit peu) de son amour pour les livres, de son ami qui écrit un roman, et que l'amour au fond c'est toujours courir vers deux doses : l'antidote ou le venin.

J’aime lire. Dans une librairie, comme dans un bar, je dévalise. Quatre-cinq romans, une dizaine de litres de bière, ça nourrit. En ce moment, je lis le premier roman réédité de Peter Stamm, Agnès, et c’est bien. Je t’en parlerai sans doute la prochaine fois. Ça cause d’amour.

Oui, mon ami avance bien dans le bouquin qu’il écrit. Un peu retardé par le retravail d’un recueil, envoyé depuis à des maisons d’édition, il a enfin trouvé la voix du roman. Je lui ai dit à mon camarade : il faut écrire et écrire, tu ne feras que mieux. Mais il adore ça, écrire, alors je ne m’en fais pas pour lui, même si c’est un gros flemmard et qu’il aime bien la vie.

Toi, tu es curieux de ce que je t’ai dit l’autre fois, hein ? À propos de cette nana. Sers-moi une Triple d’Anvers. Pourquoi est-ce que je n’ai pas ce besoin de revenir vers elle ? Je parle de besoin, pas de désir. Parce que c’est du venin, cette gonzesse. Administré dans le sang, il coule dans mes veines. Avoir quelqu’un dans la peau n’est pas toujours de l’amour, c’est parfois une damnation. Elle m’a damné avec son sourire, son odeur, le goût de ses lèvres, la beauté de ses seins, de tout son corps, et de ses quelques promesses. Un jour, j’ai nommé ça une fille extra.

Et ça me fait rire, car j’en parlais justement à mon ami dernièrement. Lui, il a une hypothèse. Dans l’amour à grande dose, il y a deux seringues : l’antidote et le venin. Il me disait ça hier : « J’ai écrit deux recueils. Sur deux filles. Deux amours. Le premier était mon antidote, grâce à cette femme, je me suis mis à voler, à rêver grand. Le deuxième est, comme tu le devines, mon venin. Elle m’a mis à terre après tant d’espoirs. Pour la première, je n’ai que de la gratitude, malgré tout. Pour la deuxième, de la colère. Entre les deux, je choisirais toujours celle qui m’a donné des ailes. Et pourtant, je suis hanté par celle qui m’a, et me fait toujours, cracher la poussière. Ça fait écrire. Je ne l’aime pas plus que l’autre. Je le sais, car un jour j’ai cru revoir l’amour antidote, et mon cœur s’est emballé. Pas en mal. Mais ça m’a fait quelque chose. Elle ne me hante plus car elle n’a rien laissé en ruine. L’autre, cette fille extra, quand elle cessera de me hanter, il n’y aura pas de gratitude, et ses ruines seront aux oubliettes. »

Ça vaut ce que ça vaut, ce qu’il raconte, mon vieux. Moi, je dis qu’on est toujours attiré par un venin quand l’antidote est trop loin. Mais depuis quelque temps, je vois souvent une fille qui a les atouts pour être un antidote. J’ai le cœur heureux quand elle est là. C’est quand elle s’éclipse parfois que le venin revient dans mon esprit. J’ai l’impression d’être comme Anakin dans Star Wars, avant qu’il ne devienne Dark Vador. Entre le bien et le mal. Deux grandes forces. Deux folies. Deux passions. J’espère ne pas basculer du mauvais côté.

Tu sais quoi ? J’aime bien te parler. Et aussi, tu sers de bonnes bières.

La plume perchée de Sébastian Blysk

Par Sebastian Blysk

Ecrivain, et travailleur social (ou inversement)

Auteur d’Une Petit longue déclaration, recueil publié le 9 mars 2022
aux éditions Frison-Roche Belles-lettres.

“Les Fragments d’un chagrin” est sorti le 29 janvier 2025 aux éditions Lys Bleu

Je suis dans la rédaction d’un roman.

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