Le Café des Anges

Restaurant à Paris que je recommande. Avec un grain de folie.

On marchait sans but précis, comme deux êtres qui n’attendent plus grand-chose mais qui veulent encore se laisser surprendre. C’était dans le 11e, un quartier glissé entre deux insomnies, recommandé par un écrivain qu’on lit pour se rappeler que parfois, la vie tient dans une terrasse et une main posée sur une autre.

Elle m’a dit : “C’est là, je crois. Il en parlait souvent.” Alors on y est allé.
Le Café des Anges. Le nom sonnait un peu trop beau, presque naïf. Mais on avait soif de naïveté.

Direct, j’ai aimé le cadre. Et encore plus la fille qui prenait les commandes : voix de tabac blond, sourire à dézinguer un enterrement, et une manière d’exister qui te ferait presque croire que la vie n’est pas qu’un crachat dans le caniveau. J’ai soufflé à mon amie, la voix pleine de rires :
— Je crois que je tombe amoureux.
Mais je tombe amoureux comme d’autres attrapent des rhumes, pour un rien, souvent, mal, et sans traitement efficace. Faut dire, des filles magnifiques, y en a un peu partout. Le problème, c’est que je m’attache aux sourires avant même d’avoir demandé le prénom.

Les bières arrivaient bien pleines, à 50 cl comme promis. Les plats débordaient des assiettes. Et tout autour, il y avait la vraie vie. Des familles qui partageaient du poulet et des secrets, des potes qui vidaient des verres et des rancunes, et même des solitaires accoudés au comptoir, qui n’en avaient rien à foutre d’être seuls. Ils riaient fort, comme pour emmerder l’absence.

C’était Paris sans le décorum. Paris version pull troué et cœur plein. Un Paris où les gens se foutaient de la loi Duplomb, où on savait que les bonnes volontés individuelles c’était joli dans les discours TEDx, mais que le système, lui, restait assis sur ses privilèges comme un gros chat sur un coussin sale. Les adorateurs du développement personnel peuvent bien s’auto-coacher dans leurs cuisines ouvertes ; ici, on savait que la chaleur montait, que les guerres se rapprochaient, et que les fins de mois commençaient le 8. Mais dans ce bistrot, on suspendait le désastre quelques heures. On trinquait à l’oubli.

Le lendemain, on y est retourné. Par fidélité, par flemme aussi. L’accueil était le même, chaleureux sans chichi. La serveuse nous a reconnus, a demandé si on allait bien, comme si ça comptait vraiment. J’aurais voulu lui demander son numéro. L’inviter à boire une dernière bière après la fermeture. Commencer avec elle une belle histoire, ou au moins une jolie nuit. Mais j’étais de passage. Pas disponible pour aimer dans une autre ville que la mienne. Et puis, j’avais encore cette vieille idée dans la tête : m’aimer un peu, avant d’adorer les autres. Même si, soyons honnêtes, lécher une paire de seins reste un bon moyen de croire qu’on va mieux.

Au Café des Anges, il y avait sans doute des ailes, oui. Mais surtout des types et des filles avec les plumes brûlées. Des gens sortis de leur enfer à eux, et qui essaient, maladroitement, d’inventer une vie qui ne pique pas trop.

La plume perchée de Sébastian Blysk

Par Sebastian Blysk

Ecrivain, et travailleur social (ou inversement)

Auteur d’Une Petit longue déclaration, recueil publié le 9 mars 2022
aux éditions Frison-Roche Belles-lettres.

“Les Fragments d’un chagrin” est sorti le 29 janvier 2025 aux éditions Lys Bleu

Je suis dans la rédaction d’un roman.

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