Fiction.
La route faisait ça sur lui : elle lui grattait le ventre comme une vieille promesse qu’on n’a jamais tenue. Il roulait vers nulle part, donc sûrement vers quelque chose. Les collines au loin ressemblaient à des pensées enfouies, et ce foutu paysage sentait l’Amérique à plein nez, cette Amérique de cartes postales fanées et de mythes qu’on picole.
Dans la bagnole, ça gueule du rock crasseux, du vrai, de celui qui transpire la sueur et la poussière. Le rap ? Il l’avait rangé dans une case trop propre. Trop lisse. Il lui fallait du rugueux, du son qui saigne.
Il s’est surpris à aimer de nouveau. Comme un con. Sans prévenir, sans fleurs ni tambours. Juste ce frisson bizarre dans le sternum. Il savait pas quand ça arriverait, ni avec qui, mais il était prêt. Prêt à laisser quelqu’un foutre un peu de foutoir dans son cœur. Parce qu’il avait commencé à s’aimer, ou du moins à ne plus se haïr. C’était déjà pas mal.
Dans la boîte à gants, il avait pas de revolver, juste une canette de bière tiède. Il trouvait ça plus utile qu’un manuel d’utilisation ou une vie bien rangée.
Avant de partir, il avait gribouillé quelques mots sur un bout de papier, genre bouteille à la mer :
« Amour, tu ne liras sûrement jamais ça. Mais j’crois qu’on pourrait rejouer aux enfants terribles. S’aimer. S’en foutre de nos vies en parallèle. Parce que le bonheur, ce con, il nous allait bien. Si t’es d’accord, après avoir lu ça, tu peux m’envoyer ta langue qui lèche tes seins. »
Et puis il avait souri. Un peu honteux, un peu amoureux, et beaucoup lâche. Il avait roulé la feuille, tiré un shoot parfait direction la poubelle. Trois points. Rien que pour lui.
Il devait la laisser tranquille.
L’Amérique, putain. C’est grand comme une échappée belle.
Ça donne l’impression que tout peut recommencer, même nous.
Il roulait. Il roulait comme un mec qui n’a plus peur de s’éclater contre le mur. Il roulait avec le cœur à découvert, comme un type qui croit encore à l’amour malgré les épaves qu’il a laissées derrière lui. Il s’était réconcilié avec ses cicatrices, avec son reflet, avec ce qu’il était. Pas un héros. Pas un salaud non plus. Un homme, simplement.
La route est longue, ouais. Mais qu’est-ce qu’on s’en fout, si on la remplit de rires, d’accidents doux, de regards qui font frissonner la nuit. Mourir avec la sensation que tout est passé trop vite, c’est déjà une belle manière de vivre.
Il a écrit à G., trois mots simples, presque convalescents :
« C’est peut-être toi. »